mardi 20 octobre 2015

Diversité chez les hominidés


Notre espèce, Homo sapiens, est aujourd'hui la seule espèce d'hominidé sur Terre. Cette situation est récente à l'échelle temporelle de l'évolution : elle ne dure que depuis quelques dizaines de milliers d'années. Mais elle n'est pas exceptionnelle : il y a 1,3 million d'années, Homo erectus s'est aussi retrouvée la seule espèce d'hominidés vivante, jusqu'il y a environ 800 000 ans. C'est ce qu'a souligné Jean-Jacques Hublin dans la première leçon de son cours annuel au Collège de France, le 6 octobre dernier.

Néandertals et Dénisoviens : c'est le titre du cours que Jean-Jacques Hublin donne cette année au Collège de France. La séance du 6 octobre était intitulée La diversification du Pléistocène moyen. Je n'en ferai le récit exhaustif. J'encourage tous les amateurs de paléoanthropologie à la visionner ici.

Jean-Jacques Hublin commence par présenter un graphique rassemblant la plupart des espèces d'hominidés créées par ses confrères. Très à jour, ce graphique contient le spécimen d'Homo daté de 2,8 millions d'années présenté au début de l'année 2015, Australopithecus deyreimeda, publié en juin, ainsi que le récent Homo naledi. De façon surprenante d'ailleurs, sur ce graphique, Homo naledi, pour lequel aucune date n'a encore été déterminée, est situé aux environs de 2 millions d'années.

C'est un premier biais dans l'argumentation : le site de Rising Star, qui a livré les seuls restes d'Homo naledi pourrait tout aussi bien dater d'un million d'années. Et de façon plus générale, le fait de porter sur le même graphique des espèces définies sur un seul site, pour une seule date, tel, Homo antecessor, dont les seuls spécimens reconnus proviennent du site de la Gran Dolina d'Atapuerca, en Espagne, et d'autres reconnues sur un grand nombre de sites et sur plusieurs continents, tel Homo erectus, fausse le raisonnement. Peut-être n'a-t-on simplement pas encore trouvé d'autres spécimens plus anciens ou plus récents d'Homo antecessor par exemple.

Peut-être aussi, finalement, Homo antecessor n'est-il qu'un Homo erectus? L'exemple du site de Dmanisi, où les paléontologues ont trouvé dans les mêmes couches sédimentaires des crânes d'hominidés à la morphologie assez diversifiée, est édifiant. Classés dans les années 1990 dans la nouvelle espèce Homo georgicus, ils ont depuis été réintégrés à Homo erectus.

De la même façon, on peut se demander si les différents groupes issus d'Homo erectus, selon la présentation qu'en fait Jean-Jacques Hublin, en particulier Homo sapiens, Homo neanderthalensis, Homo floresiensis ou encore les « hommes de Denisova » (qui n'ont, prudemment, pas reçu de nom classificatoire officiel), ne seraient pas différentes formes de la même espèce, à la variabilité biologique plus grande qu'aujourd'hui.

Cette question prend d'autant plus de ses à la lumière des résultats présentés par Svante Pääbo, de l'Institut Max Planck de Leipzig, en Allemagne, lors du séminaire qui a suivi le cours de Jean-Jacques Hublin (séminaire dont je recommande aussi le visionnage). Avec son équipe, celui-ci a en effet caractérisé génétiquement des différences significatives entre notre lignée, celle des neandertaliens, et celle des denisoviens, représentés seulement par une dent et un morceau de phalange provenant d'un seul site en Sibérie. Mais il a aussi montré qu'il y a eu des croisements entre ces trois lignées. Qui plus est, ces croisements ont eu lieu à différentes époques, et dans des régions différentes.

Très prudemment, Svante Pääbo s'abstient de parler d'espèces. Il me l'a confirmé lorsque je lui ai posé la question. Jean-Jacques Hublin, même s'il partage en partie cette prudence, en mettant en garde sur le statut des groupe taxinomiques qu'il présente, insiste, lui, sur les différences entre les groupes humains. Si des hommes modernes et des néandertaliennes, ou des femmes modernes et des neandertaliens, se sont accouplés, c'est parce que l'homme s'accouple avec tout ce qui passe à sa portée, m'a-t-il expliqué en substance à la fin du séminaire. Pas parce qu'il y aurait eu une proximité écologique ou culturelle.

Je connais nombre de préhistoriens, notamment des spécialistes de la culture matérielle, qui ne partagent pas ce point de vue. Il est dommage que les cours et séminaires du Collège de France ne soient pas l'occasion de plus de débats entre scientifiques devant le public. Celui-ci comprendrait d'autant mieux l'intérêt de la recherche qu'il identifierait les questions ouvertes.

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