mercredi 16 septembre 2015

Homo naledi (1/3)


L'emballement médiatique en fin de semaine dernière à propos de la découverte d'Homo naledi dans le site sud-africain de Rising Star s'est révélé inversement proportionnel à sa durée et à la distance critique apportée par la plupart des confrères sur le sujet. J'ai pris le temps de lire en détail les deux articles scientifiques, publiés dans eLife, revue gratuite (je vais y revenir), de visionner la conférence de presse qui a annoncé la découverte, et de parler avec quelques paléoanthropologues après qu'ils aient eux-mêmes lu les articles (ce qu'aucun d'entre eux n'avait pu faire avant l'annonce). C'est pourquoi mon analyse ne vient que presqu'une semaine après l'annonce. Et pour ne pas noyer mes lecteurs, je l'ai découpée en trois posts, publiés sur trois jours : un petit feuilleton bien justifié par l'importance de la découverte.

Les questions qui intéressent la plupart des personnes qui suivent ces questions concernent la classification possible de ces nouveaux fossiles : s'agit-il d'une nouvelle espèce? Comment la positionner par rapport à ce que nous connaissions précédemment? Nous informe-t-elle sur l'évolution humaine, et de quelle manière? Mais pour ménager un peu de suspens, une fois n'est pas coutume, je n'en traiterai que dans mon second post. Le troisième sera consacré à l'étonnant site de la découverte.

D'abord, et pour lever toute ambiguïté, la reconnaissance de l'importance des découvertes est unanime. Nulle part ailleurs dans le monde on n'a retrouvé autant de restes d'hominidés (environ 1 500 pour l'instant) si concentrés et si bien conservés. D'un coup, on a la photographie d'une populations, avec différentes catégories d'âge. Quelles que soient les interprétations que l'on en fera (et que l'on en fait déjà), Rising Star est l'un des sites les plus importants pour la paléoanthropologie. Personne ne remet cela en question.

Il me semble toutefois important, pour commencer, de revenir sur les conditions de l'annonce et de la publication. Contrairement aux habitudes en vigueur dans le domaine, l'annonce a été faite lors d'une conférence de presse, jeudi 10 septembre, sans que les articles scientifiques aient été préalablement diffusés à la presse. Cette pratique, l'embargo, permet aux journalistes, notamment aux journalistes spécialisés, de faire correctement leur travail. Par exemple d'envoyer ces articles à des scientifiques experts, pour que ceux-ci puissent faire des commentaires éclairés sur les revendications des auteurs. Là, rien de tel. Et ce n'est pas faute, en ce qui me concerne, d'avoir sollicité de façon continue, et encore ces dernières semaines, l'un des principaux auteurs, qui m'avait laissé entrapercevoir quelques photos des fossiles il y a bientôt un an lors d'un colloque.

La conséquence de cela a été un emballement médiatique totalement incontrôlé. Les rédactions en chef de journaux habituellement indifférents à la science ont exigé de pouvoir en parler rapidement. Les journalistes en poste ont fait ce qu'ils ont pu. L'article du Monde est édifiant à cet égard : Hervé Morin a interrogé Michel Brunet et Yves Coppens qui n'avaient manifestement pas lu les articles, et qui ne font que des remarques assez générales ; et il a cité Tim White cité par TheGuardian. Et c'est l'un des meilleurs articles que j'ai vu passer en français.

La conférence de presse elle-même, visible sur Youtube, est un exemple de fusion entre la science, la politique et le spectacle. Lee Berger, le principal auteur, ne commence à y parler en effet précisément de la découverte qu'au bout de 36 minutes, et cela ne dure qu'à peu près 30 minutes, sur 1h40. Pour le reste, le vice-président Cyril Ramaphosa, le vice chancelier de l'Université de Witwatersrand et un responsable de National Geographic font savoir comme tout cela leur fait plaisir et est important pour eux.

Les deux premiers cités revendiquent aussi abondamment le fait que la publication soit faite dans une revue électronique en accès libre : c'est « gratuit pour 7 milliards d'humains », dit même l'un d'eux. Et une intervention video de Randy Schekman, américain, prix Nobel de physiologie/médecine en 2013, fondateur et directeur de la revue eLife où les articles sont publiés vient appuyer le propos. Je m'interroge toutefois : si le but est la diffusion gratuite de la science sud-africaine, pourquoi Lee Berger et ses collègues ont-ils soumis 12 articles à Nature (ils sont en cours de révision), détaillant les différents aspects de leur découverte? Nature n'est pas (encore?) en accès libre. Et pourquoi National Geographic, qui n'est pas non plus un magazine gratuit, est-il omniprésent dans la communication?

J'ai quelques hypothèses pour répondre à ces question. Elle ne sont pas exclisives les unes des autres.

1/ Lee Berger, dont de précédentes annonces ont été fort controversées (par exemple celle d'uneprétendue population d'hommes nains sur l'île de Palau, en 2008), aurait décidé de faire bras d'honneur au système classique. Il jugerait sa position assez forte, avec la grande quantité de fossiles collectés, pour se passer de celui-ci (mais alors pourquoi ses publications sous presse dans Nature?) ;

2/ il aurait saisi l'occasion pour sécuriser l'intérêt gouvernemental pour la recherche paléoanthropologique et les financements afférents. Permettre au vice-président de se faire mousser sur un sujet aussi consensuel est de bonne politique (lors de la conférence de presse, les allusions de celui-ci sur la crédibilité qu'il accorde désormais au vice chancellier de l'université de Witwatersrand plaide en ce sens) ;

3/ la publicité faite à Lee Berger aurait pour but d'attirer à lui les prochaines découvertes faites au hasard par des spéléologues ou des promeneurs. Le site de Rising Star lui a en effet été « apporté » par des spéléologues qui avaient remarqué des ossements lors de leurs explorations en 2013 (de précédents visiteurs étaient restés plus discrets). La concurrence est rude entre paléoanthropologues en Afrique du sud pour la connaissance et l'accès aux sites ;

4/ la stratégie publicitaire aurait été demandée par National Geographic, qui a financé en partie les fouilles, et qui veut un retour sur investissement : dans le monde entier, des lecteurs alléchés par les annonces médiatiques peu précises vont légitimement vouloir acheter des magazines détaillant la découverte et sa signification. Il n'y en a qu'un pour l'instant : National Geographic, avec toutes ses déclinaisons nationales à brève échéance ;

5/ enfin, les articles auraient été refusés par Nature et Science, réceptacles ordinaires de ce genre d'annonces, car les analyses n'ont pas été jugées suffisantes par les relecteurs pour justifier la création d'une nouvelle espèce. Je détaillerai ce point demain.

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