jeudi 17 septembre 2015

Homo naledi (2/3)


Venons en donc aux faits publiés par Lee Berger et ses collègues à propos d'Homo naledi, et à leurs interprétations. L'article de description anatomique des restes retrouvés est en libre accès, mais franchement, je ne conseille pas de le lire : il est très technique.

La découverte est extraordinaire. Il faut le redire car ce sentiment est unanimement partagé par tous les paléoanthropologues avec lesquels j'en ai parlé. Les auteurs rapportent en effet un total de 1413 restes osseux et 137 dents (sachant que 53 dents sont encore solidaires d'os maxillaires ou mandibulaires). Il faut attendre ensuite des périodes très récentes, il y a moins de 10 000 ans, pour retrouver en un même lieu une telle quantité de restes si bien conservés. Ces restes représentent en outre presque toutes les parties du corps : crânes, dents et mandibules, comme souvent, mais aussi squelette « post crânien », c'est-à-dire du tronc et des membres, beaucoup plus rares.

Pour autant, aucun des experts que j'ai interrogés n'adhère à l'idée qu'il s'agisse d'une nouvelle espèce. Pour José Braga, de l'université Paul Sabatier à Toulouse, c'est sans discussion un Homo erectus (ou, pour ceux qui préfèrent réserver cette appellation aux formes asiatiques, un Homo ergaster). C'est-à-dire un hominidé ancien, mais que l'on a déjà retrouvé dans le site de Swartkrans, à quelques centaines de mètres du site de Rising Star qui a livré Homo naledi, ainsi qu'en Afrique de l'est. Bruno Maureille, du laboratoire PACEA du CNRS et de l'université de Bordeaux, est moins catégorique, mais selon lui, le crâne est aussi fortement évocateur d'Homo erectus. Et la face rappelle des fossiles trouvés à Dmanisi, en Georgie, datés de 1,8 million d'années, et reclassés en 2013 sous le nom Homo erectus ergaster georgicus. C'est aussi l'avis de Tim White, de l'université de Berkeley, rapporté par The Guardian.

L'article de Lee Berger et de ses 46 collègues propose un grand nombre de comparaisons des différentes parties du squelette avec d'autres fossiles d'hominidés, des australopithèques aux Homo récents. Et ils concluent à une mosaïque de caractères, certains plutôt modernes (Homo), d'autres plus archaïques (Australopithecus). Sans doute, toutefois, auraient-ils dû prendre plus de temps avant de publier (deux ans se sont écoulés seulement depuis que Lee Berger a eu connaissance du site). Nombre de leurs comparaisons s'appuient en effet sur des données publiées, pas sur l'observation directe des fossiles. Et le manque d'analyse quantitative laisse la porte ouverte à toutes les subjectivités.

Variabilité, est le mot à retenir dans cette affaire. « Les phalanges des doigts qu'ils jugent courbées, explique José Braga, ils n'en mesurent pas la courbure. Et l'ont-ils comparée avec la variabilité humaine actuelle? Probablement pas, étant donné que l'on ne connaît même pas cette dernière. » De la même façon, selon lui, les incertitudes sur la stature des individus (calculée à partir de la longueur du tibia) et sur la taille de l'encéphale sont importantes. Au point que le « petit cerveau » de ces individus, ne serait, en proportion, pas plus petit que celui d'un Homo erectus, dans la limite des connaissances actuelles bien entendu.

L'exemple de Dmanisi, évoqué plus haut, devrait pourtant inciter à la prudence. Comme l'expliquait en 2008 dans La Recherche David Lordkipanidze, qui y dirige les fouilles, si les différents crânes qui y ont été retrouvés n'avaient pas été si proches les uns des autres, on aurait pu les classer dans deux ou trois espèces différentes.

Pour ce qui concerne la mosaïque des fossiles de Rising Star, existe-t-elle seulement? Quelle est la signification des caractères « archaïques » du squelette post crânien et quel poids leur accorder? On ne connaissait jusqu'ici que très mal le squelette post crânien d'Homo erectus. Le plus vraisemblable est que l'on vient enfin de découvrir de quoi l'étudier vraiment. Espérons que les auteurs s'en donneront la peine, et qu'ils utiliseront pour cela les techniques modernes, notamment la numérisation 3D et l'analyse statistique, qui font cruellement défaut au présent article.


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